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BELLES RENCONTRES

  • Kanel DUPLESSIS
  • 22 févr. 2020
  • 19 min de lecture


 

Il n’y a pas à dire, la vie est faite de hasards et de belles rencontres.


Comme dirait mon ex philosophe de bac à sable : « c’est quand tu arrives au fond du trou que tu peux rebondir ». Il avait peut-être raison parce qu’aujourd’hui, à l’instant même où j’aurais pu avoir toutes les raisons du monde de déprimer, super Jackpot ! Je n’ai pas gagné le million, mais franchement, c’est tout comme. Non seulement j'ai pu me libérer de mon poste barbant mais je me suis aussi libérée de cette vie miséreuse de mère célibataire. Et le Super bonus… roulements de tambour… j’ai gagné un sacré p’tit lot aux yeux bleus et dorés et un petit bout adorable !


J’me verrais bien me déguiser en canard géant pour faire la choré « Au revoir, Au revoir président » à mon ancienne directrice puis sabrer un champagne Impérial après l’avoir secoué en visant le front de mon ex. Bon, mon compte en banque est en rouge et j’ai des médocs à prendre.

Ce soir, j’me contenterai d’un Perrier.


Franchement, je n’en pouvais plus ! J’adore mon fils mais rien ne s’est déroulé comme je l’avais programmé... Je n’ai jamais eu des ambitions à la Starmania, vie d’artiste, tour du monde et tout le tintouin. Rien de plus classique : Mariage à 25ans dans une robe de princesse bouffante et perlée, jolie villa beige à toit vert, voiture familiale avec un siège auto Dora l’exploratrice, 4 enfants et un labrador à qui j’apprendrai à ne pas baver sur moi. J’ai une sainte horreur de ça. Quand je vois les gens embrasser leur chien, j’en ai des frissons dans le dos. Il parait que ce n’est pas sale et que fait cicatriser plus vite, mais l’aloé véra aussi et ce n’est pas pour autant que les gens embrassent leurs plants d’aloé.

J’ai 29 ans et 3 mois et faux sur toute la ligne : Une relation amoureuse qui a foiré depuis que mon mec s’est barré avec une pétasse mal coloriée, un gosse que j’élève toute seule à temps partiel, un appart minuscule sans même un balcon pour faire sécher mes fringues au soleil. J’ai bien eu un animal de compagnie, mais muet, sans poils et qui ne bave pas. C’était un poisson rouge. Quoique, un poisson rouge, est ce que ça bave ? Je devrais demander à Google. Niveau encombrement, y'a pas à dire, on était beaucoup moins volumineux que le labrador mais même ce con m’a plaqué pour le nirvana de la poiscaille quand je l’ai retrouvé flottant ventre au vent dans son aquarium.


Je ne vais quand même pas trop me plaindre. Sur mon programme carte famille nombreuse SNCF, je pouvais déjà mettre une étoile avec mon fils Soan. Vu que je n’en ai que la garde partielle, je devrais peut-être juste garder 2 branches à cette étoile. Drôle de tronche pour une étoile. Ça lui fait juste une bonne tête de boussole, pile poil ce qu’il me fallait pour éviter de perdre le Nord dans cette vie minable.


J’ai réussi à ce qu’il soit gardé dans la crèche où je travaille. Ce n’est pas forcément facile. Selon mon contrat, je ne peux pas m’occuper du groupe d’enfant où est le mien, pour ne pas négliger les autres. Ça, c’est la théorie. Je ne suis pas une suiveuse de règlement intérieur de carnet de correspondance, personne ne pourra m’empêcher de m’occuper de mon fils. Je ne suis pas idiote non plus, je fais profil bas et je m’organise pour être suffisamment efficace et irréprochable pour qu'on me fasse des petites fleurs.


La réalité, c’est que je ne peux pas m’empêcher d’être à l’affût de chacun des pleurs de Soan. J’ai réussi à négocier directement auprès de mes collègues pour lui donner à boire et continuer mon allaitement mixte sans qu'elles ne bavent auprès de la directrice. J’aurais pu tirer mon lait mais ces histoires de tire-lait me filent des angoisses parce que je vois bien que je n’ai pas suffisamment de lait pour le rassasier. J’en fais même des cauchemars dans lesquels je suis une vache amarrée par les pis à une grosse machine qui me pompe à vide jusqu’à une grosse tétine où Soan espère désespérément de boire. Il hurle comme un forcené mais aucun de ses cris n’arrive à couvrir le bordel de locomotive mal huilée du tire-lait. Jusqu’à ce que, miracle, il arrête de crier et tête goulûment. Je suis alors surprise et soulagée. Par curiosité, je regarde ce qu’il boit. C’est du sang. Mon sang. Des litres et des litres de sang qui giclent dans sa tétine.

Je me réveille toujours en sursaut à ce moment là.

Je ne peux plus m’encadrer un tire-lait. Pour sa défense, même si ca dégouline à l’intérieur, au moins ça n’a pas la même haleine qu’un chien.


Il est 9h30, Soan est encore endormi. Je me suis dépêchée pour que les plus grands dont j’ai la charge aient déjà englouti leur collation et soient de retour à leurs activités manuelles. Je peux enfin m’isoler avec mon fils pour lui proposer le sein. Je fais un petit clin d’œil à ma collègue, je récupère son biberon et le prend dans son berceau. Il va avoir bientôt 5 mois, mais il pèse déjà 9kilos. J’ai regardé sur les courbes de poids en ligne sur Google. Il est sur la courbe supérieure, mais il reste encore dans les clous. Il est en excellente santé et il n’a jamais été malade malgré l’épidémie de grippe qui a couru dans la crèche. C’est grâce aux anticorps que j’ai dans mon lait, j’avoue, j’en suis fière. Ça au moins, je l’ai réussi.

Soan ressemble incroyablement à son père. Il est encore plus beau que lui, avec ses yeux gris et ses fossettes aux joues. Lui au moins n’a pas une tonne de poils au dos et au cul. C’est un atout non négligeable. Ça évite franchement la galère devoir lui faire un shampooing aux fesses à chaque caca. Je n’ai jamais osé poser franchement la question à son père pour savoir comment il se débrouille, mais je vois bien la galère de certains hommes à barbe quand ils mangent et j’en ai fait mes propres déductions. J’espère que ça ne va pas virer avec la puberté, parce qu’il faudra que j’investisse dans des toilettes chinoises qui font des jets d’eau dans la raie du cul quand on tire la chasse et ça doit coûter un bras. Je lui embrasse le nombril en lui changeant sa couche, il adore ça. Il me sourit et gazouille. Rien ne me fait plus plaisir sur Terre que le sourire de mon fils.


Avant sa naissance, je ne pensais pas pouvoir aimer quelqu’un d’autre aussi fort que son père. De toute évidence, je me suis trompée. Je le serre fort dans mes bras et m’installe sur un fauteuil à l’écart des autres. Je veux être tranquille pour l’allaiter, c’est notre moment à nous. Je lui présente mon sein. Il boude un peu pour le prendre. J’insiste pendant 5 minutes, il tétouille puis retire la tête en faisant une moue de dégoût. J’ai lu sur internet que certains enfants font ça quand ils veulent arrêter l’allaitement maternel. Je suis un peu déçue, j’aurais souhaité continuer à l’allaiter au moins jusqu’à sa première année mais au rythme où vont les choses, on doit être plutôt sur les dernières semaines. C’est peut être à cause de mon nouveau parfum. L’odeur doit l’indisposer. Je ne le remettrai pas demain.

Je n’insiste pas. Je continue avec le biberon, qu’il accepte aussitôt et avale goulument. Je réessaie de l’allaiter. Sans succès. Ma collègue, celle qui a un nez un peu trop long pour qu’elle soit naturellement jolie sans réarrangement capillaire, me rejoint juste au moment où je range mon sein. Elle me regarde avec des gros yeux. Les gros yeux, c’est fatal avec le grand nez, il faudrait qu’elle évite si elle veut se trouver un petit ami. Je lui fais signe de se taire avec le doigt. Elle ne dit rien mais je lis la désapprobation dans son regard. Ces gamines là, elles comprendront quand elles auront des enfants. Ça pense pouvoir expliquer aux mères comment élever leur gosse avec des airs pontificaux, mais elles feront moins les malines quand elles auront goûté aux joies de l’accouchement qui défonce ce que vous pensiez être de plus serré sur vous, aux joies des crevasses qui vous déchirent la peau des seins et aux insomnies qui vous font ressembler à un cadavre ambulant. Rira bien qui rira le dernier. Je fais un énorme câlin au petit et le lui confie. Je reviendrai dans 3h. En attendant, je dois reprendre le contrôle de mon groupe qui sème la terreur dans la salle de jeu sous les cris désespérés de ma collègue. Celle-là n’a absolument aucune autorité sur les enfants. Vu de l’extérieur, la scène que je vois est à mi chemin entre l’agneau vivant lâché dans une mare de piranhas et le film « La vengeance aux deux visages ». Pas tout le film, juste le moment où les alligators se tapent un quatre heures avec la cellulite de l’héroïne après que son très vilain mari l’aie poussée dans l’eau. Je vais jouer les Indiana Jones à la rescousse, je vais te mater ça rapidos. Tout le monde va vite coller ses paillettes et ses gommettes gentiment sur du carton et se tenir bien à carreau.


Je me prends au passage mon thermos avec ma tasse de tisane au fenouil. J’ai lu sur internet que ça augmente la production de lait. Si je me repose bien, je devrais doubler de taille de seins en une nuit. Si ça pouvait être perpétuel, ça me ferait économiser 5000euros de chirurgie esthétique. Qui sait, peut être que ça ferait revenir son père, cet idiot qui n’a d’yeux que pour les seins siliconés.


Je l’ai rencontré quand il a emménagé dans l’immeuble juste en face du mien il y a deux ans. Mon appart est disposé exactement en miroir du sien. Chacune de ses fenêtres donne sur les mêmes pièces que mon appart. Sans même chercher à espionner, juste en restant dans mon canapé, je peux voir tout ce qui se passe dans son salon et de mon lit je peux apercevoir sa chambre. Sam n’est pas du tout déco. Il n’a jamais vu l’utilité de mettre des rideaux à ses fenêtres.

Impossible de ne pas le remarquer le jour où il est arrivé. Un déménagement bruyant, la musique à fond avec ses potes qui parlaient et buvaient de la bière aux fenêtres entre deux déchargements de cartons. Je me suis donc mise à la fenêtre, agacée. Au fur et à mesure, en voyant le ballet de beaux gosses qui défilaient devant moi, le spectacle est devenu carrément amusant. Je suis allée me servir aussi un verre de vin et je me suis appuyée au cadran tout en les regardant faire. Au bout d’une dizaine de minutes, il m’a remarquée. Il était magnifique. Il avait ôté son t-shirt. Il était dessiné comme une statue grecque, poils en plus, façon la Bête de Disney. Ça m’a intriguée. Je me suis imaginée lui passant des bandes de cire chaude pour tout enlever puis calmer sa douleur en passant délicatement ma langue sur sa peau lisse jusqu’à ce qu’il se transforme en prince. Ce serait beaucoup plus simple que de passer par des délires de roses, tasses et horloges qui causent. Il m’a fait un signe de la tête, je lui ai fait un énorme sourire en espérant que mes pensées ne soient pas visibles sur une grosse bulle de B.D. au- dessus de ma tête. J’ai levé mon verre. A notre santé !


Quelques jours plus tard, en bonne curieuse que je suis, j’ai cherché son nom sur les boites aux lettre, mais il y en avait tellement qui pouvaient correspondre que j’ai repéré tous ceux de son étage et je les ai recherchés un à un sur Google jusqu’à ce que je tombe sur lui.

J’ai eu du mal à comprendre comment c’était possible que je ne le connaisse pas encore vu tout le mal qu’il s’est donné pour étaler sa vie sur les réseaux sociaux. Compte Facebook, Instagram, site perso, plus de 5000 followers à qui il racontait chaque jour comment ils devraient vivre leur vie en fonction de ses propres standards à lui.

Sam Dardelles est « coach personnel ». C’est le nouveau terme à la mode pour désigner les psychologues populaires qui n’ont pas fait d’étude de psycho. Ils s’érigent en donneur de leçon de vie exemplaires, lisses et sans défauts, mais entre nous, vu ce qui s’est passé dans notre couple, on se demande qui de nous deux aurait bien eu le plus besoin d’un coach.


Sam est arrivé dans ma vie au moment où j’avais un passage à vide. Il y a quelque chose que je dis toujours : la vie est faite de hasards et de belles rencontres. Quand j’ai rencontré Sam, j’avais du mal à joindre les deux bouts. Ma mère avait été admise dans un établissement médical hors de prix pour sa maladie d’Alzheimer. J’avais du mal à payer mais je n’avais plus le choix. Elle devenait agressive et profitait de chacun de mes moments d’inattention pour se faire la malle. C’était infernal. Mais ce n’était pas ça le pire, il ne me restait plus qu’elle et me rendre compte qu’elle avait oublié jusqu’à l’existence de sa propre fille m’a rendue orpheline de mère non encore déclarée morte ; obligée de débuter le deuil de notre relation alors qu’elle était avec moi.


Quasi plus de famille, pas de petit ami, pas encore mon poisson rouge, mais par contre, si y’en avait un qui ne m’oubliait pas, c’était bien le trésor public. Bref, rien pour me remonter le moral jusqu’au débarquement en fanfare de Sam. Ses paroles d’encouragement sont arrivées dans mon esprit comme de la pluie en plein désert. Il a redonné un sens à ma vie quand elle n’en avait plus aucun. Je me suis abonnée à ses pages, j’ai participé à tous ses séminaires de développement personnel en contractant des crédits revolving. Il organisait des chats motivationnels en live sur lesquels on pouvait discuter en direct. On avait de longues discussions durant lesquelles on rigolait énormément. J’étais une des plus motivées à suivre ses programmes.

Vu la connivence qui existait entre nous, ni Meetic ni Adopte-un-mec.com n’aurait pu mieux faire matcher nos profils. Sam publiait tout, les événements où il allait et qu’il recommandait. Par exemple, quand il allait au ciné, il disait quelle séance il allait voir, quel parfum de pop corn il choisissait, quel soda il avait pris et bien sur son avis sur le film. J’ai toujours trouvé ça douteux les gens qui photographiaient les écrans de ciné, mais c’était son délire de toujours tout prendre en photo et de publier en direct.


Un jour, j’ai décidé de le rencontrer en personne. Je me suis fait canon et je me suis rendue à son rendez vous. Il était ce soir là hyper beau dans un ensemble en lin blanc, une chemise décontractée col mao ouverte jusqu’à mi poitrine qui dévoilait sa musculature travaillée avec soin et sa pilosité débordante. Il portait des chaussures rouge bordeaux au taquet, ses cheveux toujours bien coupés et sa barbe taillée avec soin qui relevait son magnifique sourire 32 pièces. Un verre à la main, il discutait avec d’autres influenceurs que j’ai aussi découverts grâce à lui. À la fin de la soirée, j’ai pris mon courage à deux mains. J’ai prétexté un faux bond d’une amie pour qu’il me raccompagne chez moi. En vrai gentleman, il a accepté.


C’est comme ça que tout a débuté entre nous. Il préférait qu’on ne médiatise pas notre relation, pour ne pas que ça n’ « affecte trop mon quotidien », et ça me convenait parfaitement. Il n’était pas encore prêt à ce qu’on emménage ensemble, donc nous restions chacun dans nos appartements et nous nous voyions de temps en temps, le plus souvent lors d’événements publics où j’essayais être au même moment que lui, sans que je ne puisse vraiment être trop démonstrative. Sam faisait partie de mon quotidien. Je le connaissais par cœur : toutes ses petites habitudes, à quelle heure il rentrait, ce qu’il aimait manger, à quelle heure il se couchait...


L’amour rend aveugle, et j’ai accepté toutes ses conditions sans rechigner. Je me doutais bien qu’il me trompait, mais je ne pouvais concevoir de le perdre en lui faisant une scène.

Un jour cette garce a débarqué. Une pétasse siliconée toujours maquillée. Un vrai mur graffé par un collector d’artistes ratés. Accoudée à ma fenêtre, je l’ai aperçue chez lui en sous vêtements. Nos regards se sont croisés. Mystérieusement, dès le lendemain, il avait fait installer des rideaux partout. En un battement de cils, elle l’a envouté. Fini la période de discrétion du pseudo célibataire qui doit garder une côte médiatique. Il s’affichait ouvertement avec elle. J’étais dans une rage folle. Ce connard n’a même pas osé me le dire en face. Je me suis renseignée pour savoir qui elle était. Toujours auprès de mon fidèle serviteur Google. Ce que j’ai découvert était parfait : c’en était encore une qui ne savait pas ce que le terme vie privée voulait dire.


« Madame » était influenceuse make-up, mais elle espérait certainement également influencer beaucoup plus que les femmes en manque de technique de graffiti facial en étalant sa vie de merde sur les réseaux. Madame se réveille déjà maquillée et coiffée, Madame prend son p’tit dej avec Mon homme, Madame a son gel douche préféré pour se frotter le trou de balle pour qu’il sente la rose, Madame fait son footing avec ses super baskets qui rebondissent trop bien pour rester mince pour Mon homme, Madame s’habille avec les fringues de tel magasin qu’elle a déniché en faisant du shopping avec l’argent de Mon homme, Madame refait son p’tit maquillage de pétasse avec ses 3 couches de plâtre pour aller bosser, Madame mange sa salade immonde à sa pause déjeuner en se filmant en gros plan en train de mastiquer sa batavia, Madame est bloquée dans les embouteillages et se filme en train de se dandiner comme un gallinacé sur de la musique de merde, Madame prépare le diner pour Mon homme, Madame se prépare pour sortir avec Mon homme. 10 vidéos par jour, des milliers de likes de personnes désœuvrées. Pathétique. J’ai crée des dizaines d’avatars juste pour lui pourrir ses vidéos et lui envoyer des commentaires salaces en direct pour la déstabiliser. Plus elle en bloquait, plus je recommençais sous un autre pseudo. J’étais morte de rire. Ce jeu m’a diverti quelques semaines jusqu’à ce que je réalise que nous étions enceintes au même moment.


J’avais 2 mois de grossesse d’avance par rapport à elle, mais j’avais trop de choses à gérer pour m’inquiéter de mon retard de règles. Quand j’ai annoncé la bonne nouvelle à Sam, il m’a félicitée, sans percuter que cet enfant était le sien. Et quand j’ai bien insisté pour lui dire que c’était son enfant, il a botté en touche en affirmant que c’était impossible. Pourquoi les hommes ont toujours les mêmes excuses quand ils refusent de prendre leurs responsabilités ? Est-ce que « C’est pas moi le père » est une phrase inscrite dans le chromosome du queutard irresponsable ? Il m’a bloquée sur son programme et sur ses réseaux. Je me suis retrouvée encore plus seule qu’avant. Quelques semaines après, ils déménageaient.

Si avant je n’étais que triste, là j’ai vraiment déprimé. Il n’était peut être plus présent en personne, mais c’était tout comme grâce à sa copine 2-neurones. Pendant que Miss Bimbo postait les photos de leur nouvel appart, de leur déco super chouette et de son ventre qui s’arrondissait, je devais gérer de front l’arrivée du bébé en maman célibataire sans emploi et ma mère qui s’enfonçait de plus en plus dans son néant cérébral. Sans mentir, Miss Cagole a dû gagner encore 5000 followers uniquement pendant sa grossesse. Madame avait abandonné la peinture faciale à la truelle et avait trouvé un autre cheval de bataille : les produits safe pendant la grossesse et pour bébé. Pas une vidéo sans prononcer les mots composition, bio, free cruelty ou vegan. L’hypocrisie totale pour quelqu’un qui quelques mois auparavant testait des crèmes anti rides au venin de serpent. Peut être qu’elle s’était imaginé que le serpent venait après avoir vu une petite annonce comme un mec pour un don de sperme, qu’il déposait son venin dans un p’tit pot de laboratoire en feuilletant un catalogue plein de petites rates blanches, puis qu’on le laissait repartir dans la nature en le récompensant pour son geste généreux envers les bonnes femmes vieillissantes… Je n’ai jamais compris comment Sam avait pu s’enticher d’une potiche pareille.


Nous avons accouché en même temps, mais mon bébé était à terme alors que le sien était prématuré. Comme quoi, ça a aussi du bon de manger du gras et de la viande non bio de temps en temps. Son bébé a dû mourir, c’est sur il était trop petit. J’ai cessé de la suivre quand j’ai trouvé le boulot à la crèche. Je n’avais pas menti à Sam. Le bébé était son portrait craché. Il a bien du le reconnaître et on a trouvé l’arrangement pour la garde de Soan et moi le boulot dans sa crèche.


Aujourd’hui, je me suis fait convoquer et renvoyer pour faute grave. Je pensais pourtant que ma collègue ne dirait rien. On ne devrait jamais faire confiance aux gens qui ressemblent trop à des fouines. Cette garce a tout répété à la directrice de la crèche. En partant, je regarde le petit dormir dans son berceau. Je n’ai plus de droit de l’approcher. Je fonds en larmes. Je ne savais pas qu’on pouvait être aussi cruel. La directrice me raccompagne à la porte et la claque derrière moi. Elle m’a dit qu’elle se réservait le droit de porter plainte, mais je sais qu’elle n’en fera rien. Beaucoup de bruit pour rien, ce n’est qu’une idiote doublée d’une arriviste. En attendant je ne sais plus quoi faire. Tout s’effondre autour de moi.


Quelqu’un tapote dans mon dos du bout du doigt. Je me retourne, surprise. Un jeune homme d’une trentaine d’années me tend un mouchoir. Il est à tomber par terre. Grand, très mince, avec de superbes yeux bleus et dorés au centre. Une flamme s’est allumée d’un seul coup sur l’obscurité de ma journée. Ce n’est même pas une flamme, c’est un énorme soleil ! Il pousse du bout des bras un bébé endormi dans sa poussette. Ce bébé est magnifique, il a les mêmes cheveux frisés que moi ! Le mélange parfait de nous deux, c’est impressionnant ! Le jeune homme me demande pourquoi je pleure. Je lui réponds que c’était mon dernier jour de CDD, non renouvelé alors que j’ai ma mère à charge dans un établissement hyper cher. Il me répond d’une voix douce: « Ecoute, justement, ma femme et moi nous cherchons une nounou pour notre fils. Si tu veux, on va marcher un peu et discuter des conditions de garde. ». Il n’y a pas à dire, la vie est faite de hasards et de belles rencontres.


Depuis la fenêtre de son bureau, la directrice de la crèche regarde partir son ex employée avec un homme. En presque 20 ans, elle en avait côtoyé, des femmes bizarres, mais celle-ci remportait la palme d’or dans la catégorie malade mentale. Elle ne savait pas quoi faire depuis que son employée l’avait averti, affolée, qu’elle l’avait surprise en train de donner le sein à un enfant de la crèche qui n’était pas le sien.


Mais qu’est ce qui avait craqué dans sa tête pour qu’elle fasse ça ? Elle maudissait le jour où cette gosse paumée était venue lui demander du travail. Elle n’avait absolument rien vu venir. Elle la connaissait de vue, elles habitaient dans le même immeuble. Sa fille la fréquentait d’ailleurs assez souvent depuis longtemps. Elle lui racontait ce qu’elles faisaient chez elle. Des trucs d’ados sans intérêt. Elle connaissait sa situation et avait un peu eu pitié d’elle. Elle savait qu’elle prenait des antidépresseurs depuis le décès de son père, mais elle pensait que ça allait mieux. Elle était toujours dévouée à sa pauvre mère malade, et selon sa fille jamais elle n’avait eu de petit ami. Sa fille lui avait même confié que son amie était vierge, parce qu’elle attendait le mariage en dessinant des robes de mariée. Elle se rappelait bien de cette histoire. Quand sa fille lui en a parlé, elle lui a répondu que c’était admirable de sa part, dès fois que ça pourrait l’inspirer aussi à garder sa culotte le plus longtemps possible. Elle avait l’air d’adorer les enfants, et ça se voyait à la crèche dans son contact avec eux. Mais si elle était tant en mal d’enfant que ça, pourquoi ne pas en adopter un, se faire inséminer en choisissant sur un catalogue, ou s’en faire faire un par le premier venu au pire? Tout était possible au 21e siècle alors quelle mouche l’avait piqué pour qu’elle donne le sein à un enfant qui n’était pas le sien ? Et pourquoi justement celui de ces deux là ? Elle n’avait donné aucune explication. Malgré toutes les questions, elle était restée muette et prostrée. Pourtant, c’était une employée au contact facile, qui avait toujours une attention particulière pour les uns et pour les autres. Elle avait même des propositions pédagogiques innovantes. Elle était rapidement devenue une de ses meilleures recrues. Sérieuse, toujours ponctuelle. Comme quoi, on ne connait jamais vraiment les gens et ce qui se trame dans leur tête. Jamais elle n’aurait pu imaginer que derrière cette image de fille et d’employée parfaite se cachait une fêlée pareille. Elle interdirait à sa fille de la revoir.


La directrice soupira bruyamment...Elle avait renvoyé son employée mais ne savait toujours pas quoi faire avec les parents. A force de s’exposer comme le couple le plus heureux de l’ile, on s’attire forcément de la jalousie. On pense n’avoir que des gens sains d’esprit qui nous suivent sur internet dans la joie la plus totale en nous souhaitant tout le bonheur du monde, mais on ne s’appartient plus. On appartient à la vindicte populaire, aux sains d’esprit comme aux détraqués, aux bien intentionnés comme aux haineux. Et malgré l’apparente facilité à supprimer ou à bloquer un contact malveillant, on ne peut sélectionner personne. On donne gracieusement matière à entretenir les psychoses des obsédés et le vice des voyeurs qui ont notre entière autorisation pour se délecter de notre vie privée et d’un simple clic, ils peuvent tranquillement tapisser les murs de leurs maisons de nos photos. Plus besoin de filature, de lunettes de soleil et d’appareils photos à gros objectifs comme on voyait avant dans les thrillers télévisés. Avant, on se limitait à l’hypothétique malveillance d’un seul pauvre voisin ou camarade de classe éconduit qu’on faisait se tenir à carreau avec la menace d’un frère ou d’un père. Maintenant, on s’expose non pas à l’échelle de sa commune, mais à celle de tout son pays. Tsss… de la planète entière. Les jeunes ne se rendent pas compte de ça.


Quant à elle qui n’a connu ces histoires de réseaux sociaux que via ses enfants, elle ne les approuvait pas du tout. Elle n’a jamais eu qu’une seule règle d’or pour sa vie privée : pour vivre heureux, vivons cachés. Mais la seule chose qui intéressait les jeunes de cette génération là, c’est d’être aimé du plus grand nombre, provoquer l’envie, être admiré, que les autres aiment leur tête, leur façon de vivre, leur façon de s’habiller, de penser. Des dieux vivants virtuels.


Est-ce qu’elle devait dire à Mr et Mme Dardelles ce qui s’était passé avec son employée ou laisser couler en espérant que l’affaire se tasserait en interne avec le temps ? Elle avait beau trouver douteuse leur manière de vivre, il n’y a pas à dire, jamais son établissement n’avait eu une côte aussi élevée et c’est clairement grâce à eux. Ce couple là s’était forgé une réputation médiatique telle, elle en se maquillant, l’autre en donnant des leçons de morale, que depuis que leur enfant était dans sa crèche, elle avait enregistré une augmentation des demandes de garde plus de 30% et devait mettre des parents sur liste d’attente. Elle savait bien qu’en ébruitant une histoire pareille, en 2 vidéos sur réseaux sociaux, elle risquerait de devoir mettre la clef sous la porte.


La directrice se félicitait de s’être débarrassée de ce problème rapidement. Elle avait une réputation à tenir, s’il vous plait. Elle était une femme de rigueur et sa crèche est un établissement d'élite, ne vous en déplaise. D’ailleurs, c’était décidé, jamais plus elle n’embaucherait quelqu’un à l’avenir sans recommandation sérieuse de quelqu’un qu’elle connait bien. Mais maintenant que la brebis galeuse avait mis les voiles, il restait maintenant à voir comment étouffer discrètement cette histoire avec une bonne prime pour son autre employée. Avec 300€ et une semaine de congés annuels supplémentaires ? Non, c’est trop. 200 €, ça serait peut-être suffisant ? Va pour 100€ et la suggestion que le travail de nos jours est une denrée rare, très difficile à trouver, ça va, ça vient. Vous savez, le destin, parfois ça ne tient qu’à quelques mots… ça devrait la convaincre de se tenir à carreau.


Par la fenêtre de son bureau, la directrice regarda son ex employée s’en aller au loin avec un monsieur et sa poussette.

Quand ils furent hors de portée, d’un coup sec, elle tira ses rideaux.


 

L is for the way you look at me O is for the only one I see V is very, very extraordinary E is even more than anyone that you adore can Love is all that I can give to you Love is more than just a game for two Two in love can make it Take my heart and please don't break it Love was made for me and you


L.O.V.E., Frank SINATRA


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