DOUCE NUIT
- Kanel DUPLESSIS
- 3 févr. 2019
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 févr. 2019

DOUCE NUIT.
« Arrêt de réanimation. Heure du décès : 12h47. »
Je raye avec satisfaction la dernière case du mois de mai. 37 semaines. Il est enfin temps de préparer mon sac.
J’ai fait ma liste. 3 listes pour être exacte. Principale, complémentaire, et celles des choses à prendre au cas où. J’ai frotté moi-même à la main chacune des pièces de layettes au savon de Marseille. Tout est prêt.
Je révise mentalement toutes les méthodes pour accoucher efficacement que m’a apprises ma sage-femme. Je souris aux anges en posant un petit body sur mon ventre lourd et remuant. Il sera idéal pour toi. Tu es déjà un enfant si parfait. Tout sera parfait.
Soudain, tu fais un énorme bond dans mon ventre quand une crampe violente me fige sur place. Elle n’en finit plus. Mon ventre accueillant est devenu pierre.
J’ai mal. Seigneur j’ai tellement mal... J’ai le souffle coupé. Mes pensées s’embrouillent. Dans un sanglot étranglé, J’hurle le nom de ton père qui débarque en courant.
Il reste interdit devant moi, recroquevillée par terre, des filets de sang noir et chaud s’écoulant le long de mes cuisses et souillant le sol. Gardant son sang-froid, Il me soulève et me transporte d’un pas assuré jusqu’à la voiture. Couchée sur la banquette arrière il m’interroge sur ce qui vient de se passer, mais je n’en sais rien.
Je perds pied. Ça revient et je ne peux plus supporter cela. Je ne sais plus quoi faire.
Je le regarde avec des yeux plein de panique et d’angoisse tandis que nous arrivons aux urgences. Plus aucun mot ne peut sortir de ma bouche. Juste le cri déchirant d’une suppliciée.
Maman, pourquoi cela fait-il si mal ? Moi d’habitude si prévoyante, tout me submerge. Un moniteur posé sur mon ventre émet quelques sons faibles et anarchiques. La douleur est fulgurante. J’en oublie de respirer. J’ai juste assez de souffle pour pousser un long cri grave et poignant. L’impitoyable bulldozer écrase à nouveau mon ventre meurtri en ne laissant qu’une bouillie de chair et d’os.
Autour de moi, tout s’agite. Appels téléphoniques en série. « Césarienne… Décollement… Préterminal… Code rouge ». La petite salle des urgences s’emplit brusquement de nombreuses personnes en blouse blanche. Perfusion, déshabillage, brancardage… J’ai perdu tout contrôle. Je veux que ça s’arrête. Par pitié, faites qu’ils te sauvent !
J’ai à peine le temps de prononcer ton prénom qu’on me plaque un masque d’oxygène sur le visage. Et juste avant de sombrer, bêtement, je pense à ce sac oublié sur le lit.
Un bip entêtant et régulier. J’entends mon nom. Très loin au départ pour enfin se préciser juste à coté de mon lit. J’ai le ventre trop plat et lardé de ce pansement trop serré pour que j’oublie ce qui vient de se passer. Je reconnais mon gynécologue. Il m’explique des choses que je ne saisis pas. J’accroche uniquement dans le flot de ses paroles le mot « décédé ». Je réalise que quelque chose de grave s’est passé.
Je suis sous le choc, bloquée à un instant et dans un lieu qui me sont complètement étrangers.
Ton père est à mon chevet, habillé en blouse blanche. Il a les yeux rougis qu’il dissimule en enfouissant son visage dans ma main.
On me demande si je souhaite te voir. Quelle question stupide… Une larme chaude roule le long de mes joues. Une femme s’approche de moi et te pose dans mes bras. Je te prends délicatement les mains et caresse ton doux visage que je vois pour la première fois. J’éclate en de bruyants sanglots amers. As-tu souffert autant que moi, j’ai souffert ? Chez nous, tout est prêt pour toi, ma fille. S’il te plait, reviens, reviens… Reste, je t’en supplie. Maman t’aime, nous t’aimons déjà tellement…
Tous ces rêves brisés en éclats...
Je berce ton petit corps déjà froid en te chantant « Douce nuit » d’une voix brisée et étranglée.
Désormais, plus rien ne sera pareil.
On se voyait déjà donner la vie On avait presque tout prévu Le protéger construire son avenir Et pas à pas le voir grandir
Ne t'en va pas. KIM feat MARVIN
Comments